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Coronavirus – que faire concernant les détenus?

J’ai été saisie de plusieurs questions de praticiens concernant ce qu’il convient de faire de la situation de réclusion des détenus et personnels pénitentiaires dans un espace confiné, dans des conditions de dangerosité extrême pour ces deux groupes de personne et de risque de diffusion dans le reste de la société, puisque bien évidemment les personnels pénitentiaires ont des familles, des enfants, etc.

 

VOIR EN FIN DE PAGE L’ANALYSE RAPIDE DE L’ORDONNANCE DU 25 MARS 2020

 

Avertissement et introduction:

Les efforts déployés par tous ont permis de libérer pas moins de 10 000 détenus très rapidement, permettant ainsi de sauver la vie de centaines (voire plus) de détenus, leurs familles et proches.:

VOIR PAR EX ICI

Cette situation confirme qu’il est possible de libérer des détenus.

Mieux, elle révèle au grand jour qu’un grand nombre de détenus n’avaient rien à faire en détention et auraient du en réalité subir une peine en milieu ouvert, probation traitant de leurs besoins psycho-socio-criminologiques.

La culture de l’enfermement doit cesser. En dehors de la nécessité de protéger physiquement les individus contre la violence et d’autres atteintes aux personnes, les fonctions traditionnellement assignées à la peine privative de liberté (punition, prévention et traitement) constituent un non-sens criminologique depuis longtemps: le traitement de la délinquance dans toutes ses acceptions, fonctionne bien mieux en milieu ouvert, comme le montrent toutes les recherches. Pire, la privation de liberté est une entreprise géante consistant à fabriquer de la délinquance et de la récidive, pour un coût qui plus est exorbitant.

 

 Données du problème: pandémie, distanciation sociale et prison

Un détenu est décédé à Fresnes le 17 mars: le risque que d’aucun ont minimisé ou nié est bien là.

Dans un contexte de maison d’arrêt surpeuplé, le confinement n’a aucun sens.Les distances de sécurité ne peuvent être respectées.

Arrêter les visites des familles ne réglera pas le problème: les visites ont eu lieu dans les semaines passées et l’incubation est située par l’OMS entre 2 jours et 29 jours…  et les surveillants ou autres intervenants potentiellement contaminés aussi ont pu amener le virus. De plus, les personnels ressortent des établissement, y rerentrent, et ainsi de suite.

Il peut donc circuler en ce moment-même en dépit de ces mesures manifestement insuffisantes.

Rappelons que la peine de mort a disparu dans notre pays et que maintenir les détenus à la merci de contaminations difficilement évitables, ainsi d’ailleurs que les personnels, revient à en condamner une partie à mort.

 

Propositions faites par M. Evans dès le 16 mars 2020 (tweeter, cette page et contacts magistrats)

–          Prévenus : mise en liberté pour motif médical (la protection des surveillants, personnels pénitentiaire et détenus ainsi que, du coup par ricochet de la société toute entière, puisque les personnels rentrent ensuite dans leur famille requiert une distanciation sociale qui ne peut être mise en œuvre)

 

–  Condamnés à des peines inférieures ou égales à six mois: A partir de l’application de la loi de programmation au 24 mars 2020 (entrée en vigueur au 24 mars, mais dont la portée a été réduite par une Dépêche de la DACG du 23 mars 2020) il sera possible sur la base de la version de l’article 747-1 du CPP qui en est issue de convertir ces peines en: DDSE; TIG; Jours-amende; sursis probatoire renforcé.

Honnêtement, le suivi par Skype ou équivalent sécurisé, SMS, téléphone, application aurait pu être envisagé, mais c’est actuellement la débandade collective.

A terme, après la crise du COVID19, il faudra bien se pencher sur la question du suivi à distance, comme il se pratique aux USA, dans le cas d distances kilométriques importantes. Il ne devrait pas constituer un principe, mais pourrait être utilisé en cas de nouvelle crise, ou dans le cas de personnes isolées en zone rurale.

Notons par ailleurs que la DDSE n’est pas possible matériellement, qui suppose une pose du dispositif à la cheville ou poignet de l’intéressé et donc un contact direct rompant avec la fameuse « distanciation sociale »

La jours-amende suppose de connaître les ressources de la personne pour fixer son montant et nombre de jours. On peut certes fixer un montant et nombre de jours faible. Cependant, les personnes qui sortiront de détention seront par hypothèse en situation de nécessité financière et il ne sera pas cohérent avec l’objectif de réinsertion et de prévention de la récidive de leur ôter le peu dont elles disposent. Si le JAP a néanmoins des informations précises indiquant que l’intéressé a des revenus réguliers et suffisants (par ex. pension de retraite) ou une situation satisfaisante (prise en charge complète par sa famille dans des conditions décentes) alors cela est envisageable.

Le sursis probatoire, surtout dans sa forme renforcée, n’est pas crédible dans la période actuelle où les agents de probation ne peuvent assurer les suivis. Notons d’ailleurs que le législateur est peu cohérent d’avoir permis une conversion d’une peine (le reliquat de peine de six mois sur une peine plus longue à la rigueur…) en une mesure aussi lourde que le sursis probatoire renforcé. En outre, la logique du SPR est un risque criminologique de récidive supérieur et non une nature ou durée de peine donnée. Un suivi renforcé, à le supposer possible – il ne l’est pas actuellement – est contre productif criminologiquement sur une personne à bas ou moyen risque de récidive. A  en croire la DACG on ne peut hélas appliquer la version renforcée du SP… car il suppose une convocation à 8 jours auprès du SPIP… sauf que 747-1 exige que le SP soit renforcé. Solution? Décréter un SP renforcé, en reportant dans le temps (suspension) le début du suivi.

Pour résumer sur cette conversion, il ne reste que le TIG (à mettre en oeuvre de manière différée comme c’est de toute façon déjà le cas en général faute de places) et le jours-amende (si revenus suffisants), et enfin un vrai faux sursis probatoire renforcé.

Sur le fond l »article 747-1 du CPP permet la conversion suscitée si ‘ »lui paraît de nature à assurer la réinsertion du condamné et à prévenir sa récidive. »  On peut clairement retenir que la réinsertion de la personne sera compromise si elle décède et qu’il n’est pas cohérent avec l’objectif de retour à la société (réinsertion au sens littéral) d’exposer des personnes à des risques mortifères alors qu’elles sont condamnées à uniquement six mois. 

 

–          Condamnés à des peines inférieures ou égales à un an : Il est possible de prononcer une suspension de peine pour motif médical (même raisonnement que supra, i.e.: la protection des surveillants, personnels pénitentiaire et détenus ainsi que, du coup par ricochet de la société toute entière, puisque les personnels rentrent ensuite dans leur famille requiert une distanciation sociale qui ne peut être mise en œuvre)) sur le fondement de l’article 720-1 CPP ; ce qui veut dire que la personne devra retourner en détention après son confinement à domicile et si elle se produit, fin de l’épidémie ou vaccin ; LSC pour ceux qui en sont justiciables.

 

–          Condamnés à des peines situées entre un mois et deux ans  : aménagement de peine tel que LC pour motif médical ou PE  / PSE (bientôt DDSE) à domicile (pour rappel la loi qui est entrée en vigueur le 24 mars maintient le seuil de 2 ans lorsque les mesures sous écrou sont des aménagements de peine privatives de liberté) avec, le cas échéant des horaires stricts de sortie pour faire des courses uniquement. Mais nous avons déjà vu que la DDSE posait des pbs pratiques et sanitaires.

La LC ou mieux encore le PE à domicile (avec fixation d’horaires (voir par ex. D136 sur fixation des conditions qui le permet) seront toutefois plus pertinents car nous savons que les SPIP et associations ne seront pas, avec le lockdown total du pays, en mesure d’assurer les suivis.

Le PE avec horaires parait la meilleure solution.

A mon sens il n’y a aucune difficulté à viser expressément le coronavirus dans les ordonnances (si LSC) ou jugements (si HDC 712-6) dès lors que c’est un ordre national de santé publique qui s’applique à tous les français.

D 136 permet au JAP de fixer « les conditions » du PE sans surveillance. Il est donc assez large pour inclure ces situations.

Le JAP Pourrait inclure un lockdown « en application des directives du gouvernement français en date du 15 mars 2020 et entrées en vigueur au 16 mars 2020 à midi » et fixer des horaires de sortie minimalistes (par ex. deux fois deux heures par semaine) « dans le but d’aller faire des courses et/ou chercher des médicaments exclusivement »)  en rappelant aux justiciables qu’ils doivent alors se munir du document téléchargeable du gouvernement autorisant la sortie en plus de leur copie d’ordonnance ou de jugement.

 

Le suivi est certes impossible dans les conditions actuelles.

Toutefois, avec le télétravail et sous réserve que la technologie suive (les applications et serveurs de tous les ministères, y compris le mien, surchauffent et croulent sous la moindre pression… encore une chose qu’il faudra transformer radicalement après le COVID 19) on peut aussi assurer un suivi minimal

– par Skype (ou équivalent sécurisé)

– par Whatsapp

– par d’autres technologies équivalentes permettant de voir la personne et de s’assurer qu’elle est chez elle.

– sinon par téléphone

– et par textos.

Privilégiez si vous le pouvez une forme de vision pour mieux

situer ce que fait la personne… vous pourriez avoir des surprises.

Le télétravail en matière de suivi n’est certes pas parfait; il est mieux qu’aucun suivi du tout.

 

–          Condamnés hors délais pour bénéficier de ces mesures, si pertinent: 720-1-1 CPP suspension médicale de peine car la détention est incompatible avec l’état de santé des détenus et même la survie de bon nombre d’entre eux. Seuls les risques pour l’ordre public et/ou le risque grave de renouvellement de l’infraction y faisant obstacle.

–          Ce risque pour l’ordre public et la sécurité est expressément visé à 720-1-1, mais me paraît s’appliquer à toutes les situations. En période de pandémie et de risque vital pour la population mondiale, on doit hélas faire de la « criminologie d’urgence » et fixer des principes généraux pour son service qui soient compris par la population pénale. Ici encore la suspension signifie qu’un retour en détention doit intervenir après la fin du confinement et si elle se produit, la fin de l’épidémie ou découverte d’un vaccin.

Rappelons toutefois que l’urgence est surtout au traitement des condamnés et prévenus en maison d’arrêt. les établissements pour peine peuvent pour leur part plus aisément confiner des détenus, du fait du respect du principe une cellule, un détenu.

 

Précisément:

–          Doivent être exclus de ces mesures :

o   – les auteurs de violence domestique car rester confinés (surtout avec leur compagne) créera des situations extrêmement dangereuses. Or l’on n’aura pas la possibilité de contrôler ni d’intervenir s’ils retournent chez eux ;

o   – les auteurs de faits criminels d’atteintes aux personnes ;

o   – les auteurs de tous faits de violences à un niveau de gravité à arbitrer et sans aucun doute s’ils ont des antécédents de ce type de faits ;

o   – les détenus qui ont commis des faits de violence en détention ;

o   – les auteurs d‘infractions à caractère sexuel ;

o   – les auteurs de faits terroristes ou relatifs à la délinquance organisée ;

o   les auteurs de faits infractionnels dont il est identifié qu’ils sont radicalisés (je ne suis pas à l’aise avec ces concepts balais d’un point de vue juridique, mais nous n’avons hélas pas le temps de réaliser des analyses criminologiques approfondies)

o   – les personnes qui ont des antécédents de l’un ou l’autre de ces types de faits même s’ils sont incarcérés actuellement pour autre cause.

 

Ces décisions peuvent être prise sur la base d’une autosaisine du JAP (TAP par lui) d’une manière globale, du parquet, s’il en accepte le principe, ou des avocats des condamnés pouvant agir de manière groupée à l’échelle d’un ressort donné.

–          Dans le cadre du débat contradictoire de l’article 712-6 CPP (mais en ce cas en visioconférence ou même HDC selon les consignes de la ministre de la justice) à condition de respecter les droits de la défense (contact des avocats par mail et/ou via le barreau selon l’urgence)

–          Pour ceux qui y sont accessibles via la LSC (art 720 CPP)

 

L’objectif de telles mesures d’urgence est la survie des détenus et des personnels pénitentiaires et au travers eux du reste de la population. Il est donc de limiter la propagation du virus COVID 19.

Certaines sont susceptibles d’être provisoires on l’a vu.

Elles permettraient si appliquées largement de confiner les détenus restant dans des conditions plus humaines et surtout plus protectrice de la santé de tous.

 

Je conseille par ailleurs aux Juges d’accompagner leur jugement ou ordonnance, que les condamnés ne lisent la plupart du temps pas de

– un ou plusieurs exemplaires du formulaire de sortie autorisée du gouvernement;

un document récapitulatif simple indiquant quelles sont les obligations et heures/causes de sortie autorisés comportant un rappel clair du principe du confinement total de la population

Ni les juges ni les CPIP ne voyant plus les condamnés, il sera indispensable que les condamnés aient un document simple et clair.

 

REACTION DU GOUVERNEMENT PAR ORDONNANCE

Le ministère de la justice a dû réagir très vite à la menace et a pris des mesures, certaines techniques, qui, hélas nous n’avons pas le choix actuellement, réduisent l’équité procédurale, d’autres de fond, la plus originale étant la création d’une nouvelle mesure d’assignation.

 

Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 parue au JORF du 26 partie exécution des peines

 

Crash analysis :

 

Assouplissement des règles relatives à l’affectation des prévenus ou condamnés en MA ou établissement pour peine et transferts par l’AP sans avis judiciaire

 

Aménagements de peine avec débat contradictoire remplacés par visio, ou écrits si visio impossible. Mais avocat peut demander la visio… (quid si impossible ?)

 

Examen par la CHAP des recours : délai repoussé à quatre au lieu de deux mois

 

Mesures quasi-juridictionnelles de l’article 712-5  possibles sans avis de la CAP si procureur est d’accord avec la mesure. S’il ne l’est pas : écrit par « tout moyen » (donc email par ex)

 

LSC (720) possible aussi sans avis de la CAP si 1) LC possible ; 2) hébergement possible ; 3) proc est d’accord (pas clair d’accord avec quoi ici : avec l’absence d’intervention de la CAP ou avec mesure ?)

 

Suspension ordinaire de peine (720-1) possible hors débat contradictoire (HDC) si 1) hébergement ; 2) avec avis du parquet (ici l’avis doit juste être donné dc peu importe s’il est OK ou pas avec mesure ou procédure HDC)

 

Suspension médicale de peine (720-1-1) HDC par JAP si 1) certificat médecin de l’US « ou son remplaçant » ;2) avis du proc (ici l’avis doit juste être donné dc peu importe s’il est OK ou pas avec mesure ou procédure HDC) – suspension uniquement « pour durée d’hospitalisation » – comprendre, hospitalisé du fait du COVID19

 

RSP (721-1) obligatoire max de 2 mois (donc moins = possible) du fait des « circonstances exceptionnelles » pr tous écroués durant état d’urgence – y compris si la décision est prise après (en ce cas « le cas échéant » ( ?) après avis de la CAP) = bonus peine aggravée par le double confinement

 

En ce cas : 1) soit avis de la CAP sous forme écrite « par tous moyens » si pas « d’avis favorable » du proc  ; 2) soit pas avis de la CAP s’il est OK – mais OK avec quoi ? A la mesure de RSP ou à la procédure HDC ? Texte pas clair.

 

Mais exclusions en partie reprises de ce je suggérais (http://herzog-evans.com/coronavirus-que-faire-concernant-les-detenus/), soient pers. écrouées pour 1) terrorisme ; 2) violences domestiques ; « action collective » durant le COVID – comprendre : c’est la punition pour mutinerie ; 3) mise en danger d’autrui (détenus comme personnel) durant la pandémie.

 

NOUVEAU  et super bonne idée : création d’une brand new mesure d’ASSIGNATION qui permet de libérer une personne chez elle pour y purger le reste de sa peine avec horaires de sortie alignées sur le régime de confinement de tout le monde + des obligations classiques (132-44 & 132-45)

 

Mesure prononcée uniquement par le parquet (là c’est moyen…) sur proposition du DSPIP (faut bien que le parquet soit informé des situations)

Mesure qui entraîne la levée d’écrou – c’est bien plus simple en effet.

Hélas applicable uniquement s’il reste jusqu’à deux mois sur une PPL ≤ 2 ans

 

Bien entendu mesure impossible si la personne n’a pas d’hébergement. ET hélas ici aucune solution n’est prévue à défaut. Restera aux JAP de prendre des décisions d’aménagement de peine de droit commun.

 

Exclusions ici encore : 1) terrorisme ; 2) toutes infractions d’atteinte aux personnes si contre mineur de 15 ans ;3 ) violence domestique ; 4) participation à mutinerie COVID (v. supra) ; 5) mise en danger COVID (v. supra)

 

Si 1) violation du confinement 2) ou des obligations 3) ou nouvelle condamnation à une PPL 4) ou violation de ? pas clair : renvoi à al. 4 de L. 3136-1 CSP qui concerne…autre chose => suspensions, mandats, et retrait possibles par JAP dans cas 1 & 2 & réincarcération pour restant du temps de peine.

 

Juridiction de jugement si cas 3 & 4 DC nécessaire ici

 

Conversions de l’article 747-1 CPP de peines privatives de liberté inférieures ou égales à six mois en DDSE, TIG ou Jours-Amende, désormais possible pour les reliquats de peine situés dans ce quantum. Excellente initiative. Toutefois la DDSE ne sera en pratique pas possible car suppose de rompre la distanciation sociale imposée par le confinement. Le JA ne le sera pas non plus lorsqu’il n’y aura pas de revenus – encore que le JAP peut fixer un montant et nombre de jours de JA très faible…. dès lors que la situation est exceptionnelle. Quant au TIG, c’est sans doute la meilleure solution, dès lors qu’en pratique l’exécution des TIG est souvent reportée dans le temps, faute de places disponibles. Attention toutefois à une utilisation massive de cette mesure précisément pour ce motif.