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Pourquoi je démissionne de la commission de labellisation des établissements pénitentiaires

Ce « post » a pour objet d’apporter un complément à l’interview paru ce matin dans le journal Le Parisien, concernant ma démission de la commission de labellisation des établissements pénitentiaires.

Les limites inhérentes à toute parution dans un journal quotidien peuvent parfois gommer des éléments de contexte, des précisions, des nuances sur lesquels j’éprouve le besoin de revenir.

Qu’il soit d’abord ici clairement dit que j’ai le plus profond respect pour les personnels pénitentiaires. Comme j’ai coutume de le dire à mes étudiants juristes de troisième cycle (j’enseigne le droit de l’application des peines et le droit pénitentiaire, dans les universités de Reims, Nantes et Bordeaux IV/Pau/ENAP), j’ignore comment ces personnels font pour trouver en eux l’énergie, l’enthousiasme même parfois, le courage aussi, pour faire chaque jour de leur mieux. Car ils le font. Au demeurant je présente chaque année à mes étudiants les différents postes accessibles par voie de concours et très fréquemment, ceux-ci décident de concourir alors même qu’ils avaient plutôt choisis, initialement, d’autres institutions.

Il doit donc être bien compris que les critiques, parfois vives, que je peux émettre, de temps à autres, quant aux questions carcérales, ne visent en aucune manière ces personnels, mais l’institution ou les politiques pénitentiaires ou pénales.

Si la presse s’est intéressée à ce sujet aujourd’hui, c’est parce qu’elle est la première qui fait les frais actuellement, de la fermeture sur elle-même de l’institution. La volonté de maîtriser la communication qui va croissant chaque jour un peu plus, dans cette matière, conduit à une forme de blocage particulièrement dommageable, que les journalistes ressentent bien.

Quant à moi, j’ai fait l’objet à deux reprises de contacts directs au sujet de contributions écrite ou orale (conférence) que j’avais pu faire, alors même qu’elles avaient pourtant un contenu avant tout technique, juridique, même si, naturellement, je les replaçais dans leur contexte. Il m’a été reproché en termes vifs des propos que j’avais pu tenir, alors pourtant que la critique qu’ils pouvaient véhiculer était typiquement maîtrisée, pour ne pas dire « ampoulée » comme il est d’usage en matière juridique. S’il s’était agi de pure critique de fond, je les aurais parfaitement admises. Sans doute même appréciées. La critique est toujours constructive et elle me permet souvent d’avancer. Ici il s’agissait de contenu à « double entendre » comme on le dit en anglais, mi menaçant, mi condescendant.
Dire que je n’ai pas goûté le procédé serait un euphémisme. Depuis lors, j’ai moi-même demandé à mon éditeur habituel (Dalloz) de relire chacune de mes productions au cas où un mot, une phrase, une idée pourrait prêter le flanc à quelque contestation. Une situation inédite pour un universitaire, en principe constitutionnellement indépendant.

Cet état de fait, nouveau pour moi qui travaille sur les questions carcérales depuis près de vingt ans, et notamment le dernier appel téléphonique de ce type dont j’ai fait l’objet samedi dernier, a été en quelque sorte la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Parmi les propos qui m’ont été tenus, il y avait notamment le fait que je « jouerais double jeu » alors que j’étais membre de la commission de labellisation des établissements pénitentiaires.

J’ignorais que je fus la subordonnée de l’administration pénitentiaire. J’ignorais encore qu’être membre de la commission de labellisation m’ôtait ipso facto toute indépendance et liberté d’écrits et de paroles. M’y avoir désignée n’avait-il pas au contraire pour objet de montrer que celle-ci était parfaitement objective et, comme on le dit aux Etats-Unis, « bipartisan » ?

Mais retraçons et les raisons qui m’ont conduites à accepter de faire partie de la commission et celles qui m’ont conduite à en partir.

Lorsque j’avais été sollicitée pour y participer, j’avais d’abord éprouvé un recul initial en constatant que le référenciel censé servir de base pour la labellisation (effectuée par AFNOR, notre commission se bornant à donner un avis), ne portait en réalité que sur 8 des 108 règles pénitentiaires européennes. Néanmoins à la lecture, et malgré des aspects perfectibles qu’il était d’ailleurs donné à la commission de faire amender, j’avais été agréablement surprise : même si ce référenciel ne portait que sur 8 règles, certaines n’étaient pas des moindres et leurs application effective aurait été susceptible d’induire de réels et salutaires changement dans les établissements pénitentiaires. C’est ce qui m’avait conduite à accepter.

Quelle ne devait pas être néanmoins ma surprise, lors de la préparation de la première réunion ? et je devais être rejointe en cela par la plupart des membres, lorsque je m’en étais exprimée ? en constatant qu’en réalité, une seule des règles pénitentiaires sur les 8 (celle tenant à l’accueil des détenus arrivants) du référenciel était concernée par la labellisation : nous étions supposés contribuer à donner à des établissements un label « respect des règles pénitentiaires » alors que, finalement, seule une règle sur 108 était en cause. Voilà qui n’était pas bien sérieux et j’utilise, par prudence, on le comprendra, un euphémisme. Aux questions que nous avions posées lors de la première réunion inaugurale, des réponses pour le moins vagues avaient été apportées : il fallait bien commencer par quelque chose ; il ne fallait pas mésestimer la difficulté à faire changer une grosse institution… Si nous ne pouvions qu’adhérer à ces affirmations, aucune assurance quant à un calendrier ou même une certitude quelconque, quant à une éventuelle montée en charge vers le respect des sept autres règles du référenciel ne nous fut alors donnée.

En quittant cette réunion j’avais déjà en tête une démission rapide. Si je n’avais pas immédiatement sauté ce pas, c’est parce que, dans le même temps, au cours de la discussion sans les représentants de l’administration pénitentiaire qui devait suivre, il s’était passé des choses particulièrement intéressantes. En clair, la commission promettait de ne pas se laisser instrumentaliser et d’être et exigeante et vigilante. D’ailleurs aucun établissement ne devait recevoir le label ce jour-là.

Comme on aura compris, ma réflexion s’est poursuivie sur le fond dans le sens d’une démission pour les raisons que je viens d’évoquer. Les pressions dont j’ai fait l’objet, se fondant précisément sur ma participation à la commission ont été l’élément déclencheur de ce qui aurait été rapidement inévitable.