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Probation : ne pas oublier les obligations!

Les méthodes de traitement criminologique efficaces (evidence-based practices – EBP) ont le vent en poupe dans les SPIP et l’adoption du Référentiel des Pratiques Professionnelles (RPO1) en est l’heureux témoin.

Beaucoup de travail et sans doute beaucoup d’années devront toutefois être consacrés avant que cela se traduise par un changement approfondi des pratiques. Cela est naturel et inévitable. Les recherches portant sur la diffusion de l’innovation, notamment en médecine, montrent qu’il faut une vingtaine d’années avant que l’innovation soit réellement mise en œuvre.

Dans l’attente, bien des confusions et simplifications risquent de prévaloir et il sera essentiel d’y être vigilant.

Une telle confusion-simplification consiste à déduire de la recherche qui montre effectivement qu’axer le suivi uniquement sur le respect formel des obligations ne marche pas, qu’il faudrait laisser tomber le respect des obligations.

Une telle conclusion est inexacte et dangereuse à plusieurs égards.

Elle est inexacte, tout d’abord car bien au contraire, les deux grands modèles de traitement (d’ailleurs liés) qui existent, mettent l’accent sur le respect de la loi et du mandat judiciaire :

1)      Le modèle RBR en ce qu’il est lié à une forme de Core Correctional Practice (CPP) (Andrews & Kiessling, 1980) qui inclut la bonne pose de l’autorité. Celle-ci n’a naturellement aucun sens si l’autorité en question ne puise pas sa légitimité de l’autorité du cadre légal et sa mise en oeuvre

2)      Le modèle CCP de Chris Trotter (soit un mixe de travail social EBP, de CCP-RBR, et de traitement cognitif et comportemental) en ce qu’il vise :

la modélisation pro-sociale laquelle suppose que le praticien opère comme un modèle (modélisation) qu’il ne peut raisonnablement incarner s’il se présente d’emblée comme tirant son autorité de… lui-même et s’il ne donne pas à voir ostensiblement à l’intéressé que lui-même respecte la loi, ses limites (not. le fait que l’on ne peut dans un Etat démocratique imposer des obligations sans cadre légal ni sans décision de justice) et qu’il n’a pas de choix à cet égard, s’il ne donne pas à voir que lui-même ne peut aller au-delà ou en deçà de ces limites

– la clarification des rôles : dans celle-ci Trotter dit clairement qu’il convient de rendre clair ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas. Il dit tout aussi clairement que ce qui ne l’est pas est justement le mandat judiciaire, lequel inclut précisément les obligations.

 

Elle est donc dangereuse en ce qu’elle ne place pas clairement l’action de la probation dans un cadre légal et juridictionnel ( : la décision et ses obligations), mais semble suggérer que l’agent de probation fait ce qu’il veut ; soit peut se comporter lui aussi de manière antisociale.

Elle est dangereuse en ce qu’elle ne place pas au centre de l’action des agents de probation, le fait qu’ils sont des agents au service de la justice et de la loi (soit des modèles prosociaux).

 

Donc oui, le rôle des agents de probation est aussi de traiter ; traiter un phénomène délinquant et ses conséquences. Il est donc bien d’aider la personne à devenir prosociale et à s’insérer.

Cette aide n’est toutefois pas offerte dans le cadre volontaire d’une consultation chez le psychologue pour un dépressif ou d’une personne sollicitant de l’aide sociale auprès d’une assistante sociale de secteur ou une association.

Elle est offerte dans le cadre d’un suivi imposé, tel que le prévoit la loi (et notamment au travers des articles 132-44 et 132-45 du code pénal) et mandaté judiciairement.

Les agents de probation doivent donc être clair vis-à-vis d’eux-mêmes et cela doit l’être institutionnellement, sur le fait que, comme le dit bien Trotter, ils ont un rôle double :

–          Aider, accompagner, « suivre » – mais aussi traiter

–          Vérifier, cadrer, contrôler même et parfois déclencher une sanction, en saisissant le JAP.

Cette dualité doit être rendue très claire pour les usagers ; elle ne peut l’être que si elle est intégrée par les CPIP.

 

Pour cela les obligations doivent être ramenées à leur juste mesure :

1)      Elles représentant le cadre légal (au travers de leur définition dans le code pénal) et judiciaire (au travers du fait qu’elles sont indiquées dans la décision judiciaire) du suivi qui, sans elles, n’aurait pas de légitimité dans une société démocratique ;

2)      Leur exécution doit être vérifiée ;

3)      En aucun cas cette vérification ne doit constituer la seule dimension du suivi : il va de soi que les dimensions sociales, psychologiques et criminologiques du suivi priment en termes de nombre d’heures consacrées.

 

Il est incontestable que nombre de PPSMJ estimeront que ce suivi est intrusif, voire, pour les plus antisociaux, qu’il remet en cause leur mode de vie, leurs cognitions-convictions profondes, leur identité même, et certainement leur liberté. C’est précisément pourquoi ce cadre légal doit leur être rappelé.

Il n’a pas à l’être de manière autoritariste et menaçante ; ni de manière robotique et paperassière («zavez vos justifs ?» !)

En revanche, comme l’expriment bien Bush, J., Harris, D.M. & Parker, R.J. (2016). Cognitive self-change. How offenders experience the world and what we can do about it. Wiley Blackwell, trois messages clairs, que je paraphrase, peuvent être adressés aux usagers :

1)      La loi sera mise en œuvre ; la société ne peut naturellement pas vous permettre de violer la loi. Elle vous a donc sanctionné et imposé des obligations. Ces obligations sont la conséquence de l’infraction que vous avez commise. Elles sont donc incontournables dans un suivi qui comportera aussi beaucoup d’autres dimensions et chaque rendez-vous sera l’occasion de s’en assurer.

2)      Ce suivi vous donnera l’opportunité de vivre et agir en conformité avec la loi et devenir un citoyen qui contribue à la vie de la société. Le cadre judiciaire sera là pour y contribuer. Mon service et moi-même vous aiderons à suivre cette voie et vous y encouragerons activement.

3)      Cela étant, vous demeurez libre de ne pas choisir cette voie et nous respecterons ce choix. En pareil cas la loi et la décision de justice conduiront cependant à une conséquence inévitable : le prononcé d’une sanction pour cette inexécution.

 

En conclusion, cela n’empêche pas qu’il serait impératif de revoir la rédaction de bon nombre des obligations

L’article 132-44 doit être compris en lien avec l’article 132-45 et cette gymnastique n’est pas compréhensible par les PPSMJ (sachant qu’elle ne l’est souvent pas pour les praticiens)

L’article 132-45, 3° relatif à l’obligation de soins est un non-sens qui confond toutes formes de traitement (soin, hospitalisation) tout en oubliant le traitement criminologique et les programmes de traitement existant (PPR) ou à venir

Ce dernier texte est en outre redondant avec d’autres obligations de l’artile 132-45 prvoyant d’autres formes de soin. 

Bref, les justiciables ne comprennent pas plus que les praticiens ce qu’il faut faire et cela crée de l’insécurité juridique autant qu’une impossibilité de « clarifier les rôles » comme l’exige Trotter. suivant en cela le travail social EBP (Reid, Hepsworth et alii). 

Une réforme s’impose qui déclinerait clairement

– soins mésusage et abus de substance (en addicto, association, etc.)

– suivi et traitement criminologique (association, SPIP, autres)

– soin psychiatrique et/ ou psychologique

– soins médicamenteux (ex. stabilisation d’une psychose, traitement alcoologie, traitement anti-libido…)

 

Cela ira donc mieux lorsque le système juridique fera son travail qui est d’être clair, prévisible, précis.