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Une Etude Hollandaise demontre le lien entre équité processuelle et comportement des détenus

Cette étude hollandaise : Beijersbergen K.A., Dirkzwager A. E., Eichelsheim V. I., van der Laan P. H. et Nieuwbeerta P. (2014), « Procedural justice, anger, and prisoners’ misconduct. A longitudinal study”, Criminal Justice and Behavior, n° 20(10): 1-23 (ICI)

[et à la fin de ce document une seconde publication tirée de la même recherche et se focalisant cette fois sur la dimension qualités du personnel pénitentiaire]

porte sur la légitimité procédurale et la prison. Elle constitue et un ajout particulièrement important à la littérature sur la légitimité de la justice, jusque là étudiée essentiellement dans le contexte de la justice pénale (police, juges, avocats) et fiscale. Insistons sur le fait que cette étude, comme la plupart des autres dans ce domaine, est une étude empirique au sens scientifique du terme et non un essai ou une étude qualitative portant sur quelques personnes.

Ce que cette discipine en pleine explosion (v. tout récemment  l’ouvrage remarquable de De Mesmaecker, Perception of Criminal Justice, 2014) montre est que les personnes se soumettent plus (compliance) à la police, justice, fisc, justice, etc. si on les traite sur le plan procédural en droite ligne du procès équitable (comparution, écoute, défense, neutralité, séparation des fonctions, impartialité, preuves appuyant les décisions…) et de la jurisprudence thérapeutique (écoute réelle, caring, respect). 

Ces personnes sont en outre moins à risque de récidiver (McGrath, A. (2009). Offenders’ perceptions of the sentencing process: A study of deterrence and stigmatisation in the New South Wales children’s court. Australian & New Zealand Journal of Criminology, 42, 24-46.; Paternoster, R., Brame, R., Bachman, R., & Sherman, L. W. (1997). Do fair procedures matter? The effect of procedural justice on spouse assault. Law & Society Review, 31, 163-204.)

Ceci montre que l’équité processuelle est un facteur de prévention de la récidive sonc vouloir en faire l’impasse est criminologiquement peu pertinent. V. mon ouvrage dirigé sur ce point et qui passe en revue la littérature sur  la légitimité de la justice, la compliance, la jurisprudence thérapeutique, les juridictions résolutives de problème, ainsi que le droit et les pratiques comparées pour tester la question de la nécessité ou non du procès équitable dans l’exécution des peines). : M. H-Evans (ed.), Offender release and supervision: The role of Courts and the use of discretion, Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2015

 

Cette étude ajoute à la littérature en prouvant empiriquement sur la base d’une solide étude longitudinale (le fameux projet prison hollandais qui travaille sur une grosse cohorte et produit de multiples études) que les mêmes ingrédients sont en jeu dans la soumission des détenus sur le plan disciplinaire. Plus ils ont le sentiment d’être traités de manière respectueuse (ici au sens large et pas uniquement procédural; mais également sur le plan procédural) et moins ils commettent de fautes discipinaires (infractions ici visibles (auto-confession) comme invisibles).

Les auteurs ont également vérifié si, inversement, des personnes qui auraient commis des fautes disciplinaires ne seraient pas susceptibles de trouver leur traitement plus injuste et n’ont pas trouvé ce facteur. C’est un résultat important qui renforce le résultat habituel selon lequel c’est bien la justice légitime qui produit le bon comportement.

Enfin ils ont recherché sur la base d’autres bases théoriques (equity theory et general strain theory), car la légitimité de la justice ne fournit pas là desus un support théorique, comment expliquer ce phénomène et si les émotions, en particulier l’émotion colère ‘(colère d’avoir été injustement traité) était bien le facteur médiateur des fautes disciplinaires subséquentes (i.e. 1) ils sont maltraités; 2) ils ressentent de la colère; donc 3) ils rétablissent l’équité en ne se soumettant pas et en commettant des fautes disciplinaires). Ils ont trouvé qu’en effet c’était bien le cas. Ceci aussi apporte à la littérature de manière importante  car ce lien avec les émotions n’avait pas jusque là été trouvé.

En d’autres termes, dans un domaine de plus parmi les nombreux étudiés dans le champ de la légitimité de la justice, nous avons une preuve de plus et de taille de sa transférabilité dans des domaines plus larges et ici la prison.

Pour nos établissements français, cela milite pour développer plus encore la « Moral Prison » d’Alison LIebling et de rechercher le traitement équitable, le respect de la dignité dans toutes les décisions – et notamment, mais pas seulement, disciplinaire s- dans le traitement des détenus et leur respect dans les interactions interpersonnellles, etc., si l’on veut obtenir de bons résultats sur le plan comportemental et disciplinaire.

Si l’on s’en réfère en outre à la théorie générale de l’apprentissage social, cognitif et comportemental, ceci suggère aussi qu’il est nécessaire que les personnels et directions soient absolument exemplaires et respectueux s’ils veulent au surplus contre-carrer l’effet délétère du renforcement cognitif quotidien par des pairs pro-délinquants du fait même de l’incarcération. Il est impératif de donner à voir un modèle pro-social de manière permanente.

 

 

Beijersbergen K.A., Dirkzwager A. E., Eichelsheim V. I., van der Laan P. H. et Nieuwbeerta P. (2015), «Procedural Justice in Prison: The Importance of Staff Characteristics », International Journal of
Offender Therapy and Comparative Criminology, n° 59(4) 337–358

Donc comme annoncé supra, voici un scond volet de cette recherche, publié dans une autre revue internationale de renom.

 

Cette fois les auteurs ont voulu étudier un paramètre rarement évoqué dans la littérarure. On sait que l’équité processuelle est essentielle pour la soumission aux obligations, la prévention de la récidive, etc. Mais comment ce sentiment d’équité est-il ressenti? Sur quoi s’appuie-t-il. Les travaux classiques récents ou moins récents sur la légitimité de la justice citent divers paramètres (voix, neutralité, dignité, preuve, care, écoute…) que l’on retrouve dans tout procès équitable que ce soit.

Quid toutefois de la dimension humaine dans une institution comme la prison?

Les auteurs, s’appuyant toujours sur le Prison Project SITE ICI ont trouvé que les détenus qui percevaient que leur traitement dans la prison était plus juste étaient aussi ceux des quartiers/ailes ou autres dans lesquels:

– il y avait plus de femmes surveillantes

– les agents avaient des attitudes plus favorables à la réinsertion

– et il y avait un ratio surveillant-détenu plus important.